La manufacture des Abbesses est un lieu étonnant et cher à mon cœur. Les deux directeurs Sophie Vonlanthen, également comédienne et Yann Reuzeau, auteur et metteur en scène sont passionnants. Que l'on y aime ou pas une pièce, c’est tout à fait louable mais le moins que l’on puisse dire, c’est que ce petit théâtre privé est terriblement ambitieux et n’a rien à envier aux grands théâtres nationaux.
On pourrait penser que ce lieu est conventionné tant sa programmation est incroyable et courageuse. Je l’ai dit à Sophie Vonlanthen et même, si humblement, elle s’en défend, j'insiste, car faire vivre un théâtre comme celui-ci est une gageure et il y en a bien d’autres sur Paris qui choisissent des solutions bien plus faciles.
Je viens de voir Les témoins. Une pièce-choc, coup de poing, politique, indispensable qui élève le débat et donne l’envie de parler, de discuter.
J’ai eu la chance de le faire avec Yann Reuzaeu qui a répondu à mes quelques questions et m´a expliqué sa façon de travailler.
L’histoire. L’arrivée d’un pouvoir extrémiste en France (le pays et la période n’ont pas une importance cruciale), la pièce commence avec l’annonce de la nouvelle dans une réunion de rédaction de presse reconnue et respectable « Les témoins ». Au départ, l’effroi puis les doutes, l’inquiétude, la peur surgissent et petit à petit tout va s’effondrer comme un château de cartes au sens véritable comme au figuré dans cette rédaction comme dans l’univers de tous ces journalistes.
Yann Reuzeau est un auteur et metteur en scène minutieux. Il a pris le temps, sa pièce parfaitement écrite est très documentée. Il m’a dit être passionné par le travail des journalistes, je suis parfaitement d’accord avec lui. La reconstitution du travail de la presse est d’une vérité incroyable. Le démarrage dans cette réunion de rédaction et les deux scènes d’interview sont d’une justesse époustouflante et le mélange entre les projections d’informations, un peu comme sur les chaines d’info et ce qu’il se passe sur scène m’a fait un peu tourner la tête, mais donne aussi à la pièce, une atmosphère très particulière, presque documentaire. J’aime énormément ce décor ambitieux et imaginatif. J’avais juste un petit doute sur la toute fin de la pièce (pas en terme esthétique) mais Yann Reuzaeu a su m’expliquer son point de vue et son choix artistique.
Pour lui, il n’y a pas d’autre fin possible. Avec mon côté un peu trop ingénu et optimiste (je crois), j’aurais aimé qu’il me laisse le choix du doute final, mais pour lui, pour que son œuvre éveille véritablement les consciences, cela ne pouvait pas en être autrement et je comprends, après réflexion, son point de vue.
Puisque l’œuvre et politique et pour que l’on soit vraiment interpellé, son choix d’auteur est très juste. J’ai vraiment adoré cette discussion que j’ai pu partager avec lui, car il est si rare de pouvoir échanger avec un auteur de théâtre… La magie des Abbesses.
Les comédiens sont très bons et se donnent totalement mais mon coup de cœur absolu va sans détour à Frédérique Lazarini, une immense comédienne.
Depuis « Qui a peur de Virginia Wolf », je suis fou de Frédérique, je n’y peux rien, c’est comme ça. Elle arrive à mettre de la nuance à tout moment. Elle joue comme un acrobate, sur un fil, elle passe d’une émotion à l’autre sans même que l’on ait Le temps de s’en apercevoir. Elle peut hurler, casser le décor et devenir tout à coup, très drôle, acerbe et toujours émouvante. Elle met la barre très très haut.
Frédérique Lazarini fonctionne toujours sur plusieurs niveaux de jeux à la fois et la mettre en scène doit être une chance inouïe. Je pense le plus honnêtement du monde que cette personne si humble et attachante fait partie des meilleures comédiennes actuelles.
Sa scène d’Interview est absolument culte et restera dans les annales théâtrales et puis cette phrase. « Je vais me retirer et lire des livres du 19e siècle » va tout simplement devenir ma phrase quand j’aurais un coup de blues.
Frédérique Lazirini m’a accordé une magnifique interview (avec un son un peu médiocre) qui montre son intelligence et sa gentillesse.
Tout est fabuleusement affreux dans « Les témoins » et rien n’est laissé au hasard. L’affiche est exceptionnelle et le texte splendide est d’une violence désespérante.
Il FAUT COURIR POUR VOIR, LES TÉMOINS
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