Dans Celle qui voulait qu’on la regarde disparaître, Laurence, top model idolâtrée, prend une ultime fois la parole sur Instagram pour livrer un témoignage déchirant sur sa descente aux enfers. Elle a 23 ans, elle est belle, admirée, et au sommet de sa carrière, mais aujourd’hui elle arrête tout. Cette dernière story devient le terrain d’une confession où elle révèle comment le milieu de la mode l’a conduite à l’anorexie.
À travers un texte brut et sans concession, signé par Claire Besuelle et Pauline Rousseau, la pièce nous invite à un double regard : celui du passé douloureusement reconstitué et celui, distancié, de l’auto-analyse, alors que Laurence revisite son parcours. La mise en scène, pensée par Pauline Rousseau, capte avec justesse cet espace de fracture entre l’image publique et la souffrance intime.
Un travail d’équipe où l’intensité s’exprime à chaque niveau
La comédienne, Claire Besuelle, se distingue par une performance saisissante qui incarne à la fois la fragilité et la force de Laurence. Sa gestuelle, façonnée par des prothèses et accessoires de scène, souligne de façon frappante les effets de la dysmorphophobie. Elle parvient à traduire avec subtilité la douleur de ce corps-instrument, dans un mélange d’identification totale et de recul qui laisse place à une réflexion profonde sur la construction de soi dans un milieu où l’image prime.
Les trouvailles scénographiques et la lumière, orchestrées par Cerise Guyon et Raphaël Bertomeu, construisent une atmosphère visuelle en parfaite résonance avec le texte, jouant de contrastes et de nuances pour mettre en relief les moments de malaise, d’humour et de désespoir. La musique de Luc Montaudon accompagne, parfois subtilement, parfois intensément, les fluctuations émotionnelles de Laurence, entre présence magnétique et effacement progressif.
Le dispositif Instagram : une confession intime à ciel ouvert
Choisir Instagram comme cadre de cette confession n’est pas anodin. Ce réseau, qui consomme et jette les images avec une frénésie constante, devient l’arène de l’ultime mise en scène de Laurence, confrontant le public à un reflet de ses propres pratiques de consommation visuelle et émotionnelle. Cet espace intime et politique permet d’explorer le lien entre l’addiction aux réseaux et la quête de perfection destructrice.
À mesure que le récit avance, la scénographie nous fait passer du ring de la story, où Laurence livre sa vérité avec un regard plus âgé et sage, à des flashbacks intenses où elle revit les étapes de son parcours. La pièce culmine dans une séance de groupe, menée par Béatrice, une psychologue spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire, offrant au public un rôle d’observateur, voire de participant silencieux dans ce cercle de reconstruction.
Un spectacle hybride, entre théâtre, danse et performance
Celle qui voulait qu’on la regarde disparaître transcende les genres, empruntant autant aux codes du théâtre qu’à ceux de la danse et de la performance. Ce récit incisif sur l’identité, l’image de soi et la violence des standards est une véritable expérience, où l’on passe de la fascination à la douleur, du recul à l’empathie.
Si la note finale semble positive, certains pourraient se demander si un tel parcours devait se terminer sur une issue heureuse. Peut-être cette fin est-elle là pour souligner l’espoir, tout en nous laissant face à un questionnement plus profond : dans cette société où les corps sont exposés et jugés, combien d’autres Laurence aspirent-elles à disparaître ? Avis Foudart 🅵🅵
Celle qui voulait qu’on la regarde disparaître
Texte Claire Besuelle et Pauline Rousseau
Mise en scène Pauline Rousseau
Jeu Claire Besuelle
Scénographie & costumes Cerise Guyon
Lumières Raphaël Bertomeu
Son / musique Luc Montaudon
Crédit photo L'inverso collectif
Théâtre La Flèche
Du 10 octobre 2024 au 12 décembre 2024 • Les jeudis à 19h • Durée 1h
Comments