Dissonances Jeanne d’Arc : le théâtre en débat, la fiction en embuscade
- Bonfils Frédéric
- 14 juil.
- 3 min de lecture
Festival Off Avignon 2025
Une émission de radio qui fait disjoncter la scène
Imaginez une émission de France Inter qui aurait trop bu, un débat radiophonique entre spécialistes qui vire au pugilat, une table ronde qui tangue entre farce et vérité. Dissonances Jeanne d’Arc, nouvelle création de la Compagnie du Dire-Dire, convoque la Pucelle d’Orléans sur un plateau… de théâtre. Et le feu prend.
Sur scène, tout y est : micros, jingle musical, invités en roue libre, présentateur candide, et figures archétypales de notre paysage idéologique. Ce n’est pas une fresque historique, mais un miroir déformant (et détonant) tendu à notre époque.
Jeanne d’Arc : flamme nationale ou brasier idéologique ?
Après Mozart, Freud ou Camus, c’est au tour de Jeanne d’Arc de passer à la moulinette de cette « vraie/fausse » émission de radio imaginée par Frédéric de Goldfiem. Une femme politique façon Marion Maréchal-Le Gwen (savoureuse Marion Llombart), un prêtre ultra-conservateur, une illustratrice féministe, un metteur en scène progressiste, un historien du droit… Tous s’affrontent, s’interrompent, se piquent au jeu.
Et dans le rôle de l’animateur naïf, Jonathan Gensburger, Auguste version studio, joue de sa bêtise feinte pour mieux faire dérailler les échanges.
Mais derrière l’humour et les glissements burlesques, l’enjeu est de taille : qui récupère Jeanne d’Arc ? Qui en fait une sainte, une arme, un étendard ? Le spectacle croise les discours, égrène les faits, titille les dogmes. La figure historique devient prétexte à un voyage au cœur des fractures françaises : identité nationale, républicanisme, féminisme, extrême droite, médias…
Un théâtre du trouble, entre le vrai et le faux
La grande force de Dissonances, c’est sa mécanique d’écriture vivante. Pas de texte figé : un canevas souple qui laisse place à l’improvisation, à la digression, au surgissement. Certains intervenants viennent avec leur expertise réelle, d’autres avec une caricature de leur posture idéologique.
L’une des grandes réussites du spectacle est justement d’avoir mêlé vrais spécialistes et comédiens, brouillant les repères avec malice. Le spectateur ne sait jamais tout à fait ce qui est joué, sincère ou parodique. Il rit… puis parfois se fige. Lorsque la figure d’extrême droite entonne un monologue glaçant, la salle suspend son souffle. Car sous le vernis de la comédie, rôde l’ombre du réel.
De la pensée comme herbe folle
Le théâtre documentaire proposé ici se nourrit de dissonance cognitive : confrontation de vérités contradictoires, frottement entre posture et imposture, télescopage entre savoir et opinion. C’est vif, caustique, parfois absurde - et d’une grande pertinence.
Ce spectacle interroge la forme même du débat public et sa spectacularisation. La mise en scène précise et malicieuse de Frédéric de Goldfiem orchestre ce chaos apparent avec une maîtrise réjouissante. Les tensions sont savamment dosées, les personnages hauts en couleur sans jamais basculer dans le cliché. La musique de François Barucco parachève l’illusion radiophonique avec une ironie bien sentie.
Verdict : du théâtre comme on en voit peu
Avec Dissonances Jeanne d’Arc, la scène devient arène. Le public est pris à témoin, plongé dans une expérience rare : celle d’un théâtre qui pense et fait penser, sans jamais moraliser - et c’est précieux.
À mi-chemin entre satire politique, documentaire scénique et performance improvisée, ce spectacle amuse autant qu’il dérange. C’est brillant, intelligent, ludique, vertigineux.
À voir d’urgence si vous aimez être bousculé - même quand ça gratte là où ça fait mal. Avis de Foudart 🅵🅵🅵🅵
Infos pratiques
Dissonances Jeanne d’Arc
Conception et réalisation Sophie De Montgolfier, Marion Llombart, Frédéric de Goldfiem, Jonathan Gensburger
Mise en scène Frédéric de Goldfiem
Avec Cyril Cotinaut, Jonathan Gensburger, Marion Llombart, Jennifer Maria, Gérard de Martigues, Sophie de Montgolfier, Valérie Pillon, Frédéric Rey
Musique François Barucco
Festival OFF AVIGNON
Théâtre des Carmes ANDRÉ BENEDETTO • Du 5 au 26 juillet à 21h45. Relâche les 8, 15, 22 juillet • Durée : 1h35 • Tout public à partir de 14 ans

