top of page

Noémie dit oui : Un regard de femme

« Il ne suffit pas d’ignorer l’horreur pour s’en protéger ». Nelly Arcand, Putain (2001)

Avec son premier film, Geneviève Albert, nous propose un regard de femme sur un monde particulièrement masculin et lève le voile, sans compromission, mais avec pudeur sur un sujet sociétal fort, la prostitution des mineurs… avec, en toile de fond, le Grand Prix de Formule 1 de Montréal.


Noémie, une adolescente de 15 ans, rejetée par sa mère, vit dans un centre de jeunesse depuis trois ans. Lorsqu’elle perd tout espoir d’être reprise par sa mère, Noémie fugue pour rejoindre son amie Léa, une ancienne du centre. Elle tombe alors amoureuse du flamboyant Zach qui s’avère être un proxénète. Récalcitrante au départ, Noémie finit par dire oui.


L’histoire d’une injustice

Avec ces scènes de sexe à répétition et en choisissant de mettre en lumière les visages et les corps ordinaires, presque banals, des clients des prostitués, ces êtres très souvent invisibles, absents quand on parle de prostitution, très clairement, Noémie dit oui est un film choc qui bouscule et dérange.


Mais, en faisant le choix artistique de suivre au plus près cette jeune femme en perdition, en se plaçant principalement sur son point de vue et son ressenti et en nous confrontant à la violence et au sexe, sans jamais les montrer, c’est aussi un film « calibré » pour la jeunesse... un film nécessaire, presque indispensable.


J’ai voulu qu’on ne puisse pas ignorer l’horreur. Qu’on ne puisse pas s’en détourner... J’ai voulu qu’on ne se limite pas à être les témoins lointains de sa chute dans la prostitution, mais qu’on déboule avec elle vers ce destin raté. Geneviève Albert

De façon totalement injuste, en refusant de réviser son interdiction aux moins de 16 ans, la commission de classement des films, empêche à cette œuvre cinématographique, d’avoir la carrière et l’audience qu’elle aurait mérité.

Et les quelques défauts, notamment au niveau du scénario, finalement assez simple et convenu sont complètement éclipsés par la maîtrise artistique de Geneviève Albert et le talent formidable de Kelly Depeault, présente dans toute les scènes.


Que l’on soit adulte ou adolescent, Noémie dit oui est un film qu’il faut voir absolument… au cinéma ou sur les plateformes de diffusion. Avis Foudart 🅵🅵🅵

 


Interview de GENEVIÈVE ALBERT pour le film Noémie dit oui


Geneviève Albert © Dariane Sanche


Dans son premier film, Geneviève Albert offre un regard féminin sur un univers particulièrement masculin et aborde sans concession, mais avec délicatesse, un sujet de société puissant et tabou : la prostitution des mineurs.


« J'ai cherché à écrire une histoire qui reflète malheureusement la dure réalité que vivent les jeunes filles dans leur quotidien. »


Frédéric Bonfils : Pouvez-vous nous parler des motivations derrière votre premier film et pourquoi vous avez choisi ce sujet en particulier ?


Geneviève Albert : La prostitution est un thème qui m'a profondément touchée depuis mon adolescence et qui est devenu une part importante de ma vie. C'est pourquoi j'ai choisi d'en faire le sujet de mon premier long métrage de fiction. Bien que je ne vienne pas de ce milieu et que personne de mon entourage ne soit impliqué dans la prostitution, j'ai été attirée par cette réalité en raison de mon humanité et de ma compassion. J'ai ensuite effectué des recherches approfondies pour écrire mon scénario et j'ai découvert que l'âge moyen d'entrée dans la prostitution au Canada est de quinze ans. Ce constat a renforcé ma conviction quant à l'importance d'aborder ce sujet délicat et douloureux dans mon film.


Ma démarche pour mon film était de plonger le spectateur dans une expérience sensorielle et physique pour leur faire vivre ce que peut être la prostitution. Mon objectif était de transcender la simple compréhension du sujet.

Frédéric Bonfils : rendre visible l'invisible, finalement.


Geneviève Albert : En effet, je souhaitais donner de la visibilité à ce qui est souvent considéré comme invisible. Les clients de la prostitution sont un exemple de cette invisibilité, tant dans nos films que dans les débats sociétaux.

Nous nous interrogeons souvent sur les raisons qui poussent une femme à accepter ou non de se prostituer, mais nous omettons de questionner les hommes sur leur choix d'être clients. Cette question mérite d'être posée.


Frédéric Bonfils : Pouvez-vous nous parler de la violence de la prostitution qui y est dépeinte ?


Geneviève Albert : Dans mon film, la violence de la prostitution réside dans la répétition des actes sexuels non désirés que les femmes doivent subir. J'ai voulu filmer cela de près afin que les spectateurs puissent vraiment comprendre ce que vit le personnage de Noémie.


Frédéric Bonfils : parlez-nous de la notion de consentement ?


Geneviève Albert : La notion de consentement est centrale dans mon film, d'où le titre "Noémie dit oui". Je voulais interroger la valeur du consentement et savoir si dire "oui" suffisait à exprimer son accord. Pour moi, le consentement est un concept beaucoup plus subtil, complexe et sournois qu'un simple "oui". Il faut faire la distinction entre consentir et céder à quelque chose qui va à l'encontre de sa volonté.


Frédéric Bonfils : Comment avez-vous travaillé sur la précision de votre film et la représentation des clients ?


Geneviève Albert : J'ai adopté l'esthétique de la répétition pour mettre en lumière la violence et l'aliénation que subissent les femmes dans la prostitution. J'ai aussi voulu rendre les clients visibles car ils sont souvent invisibles dans cette réalité.


J'ai voulu leur donner un corps, un visage, une chair, de la sueur, afin qu'ils deviennent concrets pour les spectateurs.

Le choix des acteurs pour jouer les clients a été un processus que j'ai pris très au sérieux pour protéger mon actrice au maximum. Bien sûr, ce n'était pas facile pour les comédiens qui n'avaient qu'une seule scène à jouer, mais j'ai pu choisir parmi plusieurs candidats pour trouver ceux qui conviendraient le mieux au rôle. J'ai voulu éviter tout sensationnalisme dans ma représentation de la prostitution.


Frédéric Bonfils : Pourquoi avez-vous évité de sexualiser les actrices dans les scènes de prostitution ?


Geneviève Albert : J'ai voulu éviter de sexualiser les actrices dans les scènes de prostitution en m'en tenant à l'opposé de ce qui pourrait être érotique ou pornographique. J'ai tourné ma caméra vers les clients et ma démarche derrière ça était de ne jamais mettre en fait le client et Noémie dans un même cadre.


Parce que pour moi, la prostitution, ce n'est pas une relation, c'est un rapport de domination.

Frédéric Bonfils : Pourquoi avoir placé votre film pendant le Grand Prix de Formule 1 ?


Geneviève Albert : J'ai choisi de camper mon histoire pendant le Grand Prix de Formule un au Canada parce que c'est la fin de semaine où il y a le plus de prostitution à Montréal durant l'année, sans aucun doute. En fait, on parle de trois fois plus de prostitution que durant le reste de l'année.


Frédéric Bonfils : Je pense que vous avez évité un vrai cliché en faisant en sorte que Noémie soit intelligente et réfléchie ?


Geneviève Albert : J'ai voulu rendre le personnage principal de mon film fort et intelligent. Noémie est intelligente. Ce n'est pas une grande naïve, pas une personne qui dirait oui à n'importe quoi et parce qu'elle défend de cette image-là. Malheureusement, il existe des filles qui tombent dans la prostitution alors que ce n'est pas le cas. Il y a toutes sortes de filles dans la prostitution, y compris des filles avec des caractères forts comme Noémie.


Frédéric Bonfils : Parlez-moi du personnage de Zac qui est un personnage assez complexe finalement.


Geneviève Albert : Cette rencontre a été marquante dans la mesure où je m'attendais à rencontrer un gars horrible, odieux, bête. Puis finalement, j'étais face à un jeune homme charismatique, intelligent, drôle, qui avait de la répartie. Et donc, tous les préjugés que j'avais à l'égard des proxénètes se sont évaporés. Cela rend le rapport beaucoup plus sournois, beaucoup plus complexe. Tout ça parce qu'il y a une vraie relation de confiance qui s'établit avec la fille.


C'est ce qui m'a dirigé par la suite vers un personnage qui est adolescent. J'ai fait beaucoup de recherches pour mon film. J'ai fait des recherches de littérature, et j’ai fait des rencontres, j'ai rencontré des escorts, des survivantes de la prostitution, donc des femmes qui s'en étaient sorties. Et puis j'ai réussi à rencontrer un père aussi, un jeune homme de 17 ans qui m'a beaucoup influencé pour la construction du personnage de Zac. Et cela m'a fait comprendre pourquoi ces jeunes filles pouvaient tomber dans les bras ou dans les filets de ces gars-là.


Frédéric Bonfils : Quel message souhaitez-vous transmettre à travers votre film ?


Geneviève Albert : Mon message est simple : la prostitution est un fléau social qui doit être combattu. Il est temps de changer notre regard sur les femmes qui exercent ce métier et sur les hommes qui les exploitent. Nous devons les aider à sortir de cette situation difficile et les accompagner vers une vie meilleure.


J'espère que mon film contribuera à ouvrir les yeux des spectateurs sur la réalité de la prostitution des mineurs et à sensibiliser le public à cette problématique importante.




 


NOÉMIE DIT OUI

Un film de GENEVIÈVE ALBERT

avec KELLY DEPEAULT, EMI CHICOINE, JAMES-EDWARD MÉTAYER, MAXIME GIBEAULT, MYRIAM DEBONVILLE, JOANIE MARTEL, FAYOLLE JEAN JR

Photo LOU SCAMBLE


Sortie au cinéma, le 26 avril 2023

2022 – QUEBEC - Durée 113 min


Ce film a été présenté en compétition et en présence des acteurs et de la réalisatrice, au Festival du Film Francophone d’Angoulême






Posts similaires

Voir tout
foudart_logo_edited.png
bottom of page