
Une pièce sous influence – Quand le deuil flirte avec la folie
- Bonfils Frédéric
- 26 sept.
- 3 min de lecture
🅵🅵🅵🅵 FOUD’ART – Un huis clos hitchcockien sous perfusion de Cassavetes
⸻
Une nuit sous tension
Trois ans après la mort accidentelle de leur fille, Anna et Mathias s’apprêtent à vendre leur maison. Mais la veille de la signature, Anna, ancienne pianiste hantée par ses visions, invite les futurs acheteurs à venir prendre un verre. Commence alors une nuit vertigineuse : une comédie dramatique qui dérape, entre révélations, humour grinçant et menace sourde.
Un batteur sur scène pulse le rythme, accentue les respirations, relance les silences : la musique devient un cinquième protagoniste, imprévisible et troublant.
⸻
La Cohue : l’art de l’inconfort
La compagnie La Cohue, fondée en 2009 par Sophie Lebrun et Martin Legros, a fait de l’instabilité sa marque de fabrique. Ici, pas de naturalisme rassurant : un plateau recouvert de confettis, une maison vidée de ses meubles, un espace où s’asseoir devient impossible. La scénographie (Antoine Giard) fait de l’inconfort une dramaturgie : chaque geste, chaque objet (fenêtre suspendue, lustre, poubelle) semble prêt à dérailler.
Le public n’est jamais oublié : les personnages évoluent avec la conscience aiguë d’être regardés. Un paradoxe puissant s’installe : ce qui devrait rester intime se donne en spectacle, ce qui relève du privé s’expose au grand jour.
⸻
Mon coup de cœur FOUD’ART
J’ai rarement ressenti une telle intensité d’écoute. Peut-être parce que tout est conçu pour nous déstabiliser. Le sol de confettis, tantôt festif tantôt oppressant. Les lumières crues ou soudainement absentes. Le batteur Nicolas Tritschler, génial trouble-fête, qui impose un contre-rythme déroutant. Tout cela met les comédiens — et nous, spectateurs — en équilibre précaire.
Le jeu est bluffant. Sophie Lebrun (Anna) incarne avec une justesse troublante cette femme inadaptée, tiraillée entre visions et désespoir. Martin Legros (Mathias) joue la raison désabusée, solide en apparence mais fissurée de l’intérieur. Face à eux, le jeune couple (Inès Camesella et Baptiste Legros ou Antonin Meyer-Esquerré, selon les dates) apporte un contraste : trop polis, trop « normaux », presque incongrus dans ce décor de déflagration intime. Leur maladresse fait naître des moments de comédie cruelle.
Tout peut basculer à tout instant. Les temps morts, les silences, les dérapages absurdes provoquent parfois un léger décrochage — mais c’est voulu. Cela nous plonge dans un état d’urgence, une tension qui monte… jusqu’à la scène finale, magnifique et effroyable, qui nous laisse la bouche entrouverte et les yeux écarquillés.
⸻
Entre Cassavetes et Qui a peur de Virginia Woolf ?
La pièce revendique ses influences : Cassavetes pour l’improvisation et l’instabilité, Albee pour le jeu de massacre conjugal. Mais La Cohue y ajoute sa patte : le travail sonore, le rapport au public, l’exploration des marges. Anna n’est pas une pathologie, mais une figure de résistance à la norme. Dans ce combat contre la raison, c’est l’humanité fragile, maladroite, incandescente qui surgit.
⸻
Verdict FOUD’ART
🅵🅵🅵🅵 – Un choc théâtral.
Un théâtre inconfortable, parfois déroutant, mais d’une intelligence rare. La Cohue prouve une nouvelle fois qu’elle sait transformer le désarroi en matière scénique. On sort secoué, fasciné, hanté.
⸻
Infos pratiques
Une pièce sous influence
Texte Martin Legros
Mise en scène Sophie Lebrun et Martin Legros
Avec Inès Camesella, Sophie Lebrun, Baptiste Legros ou Antonin Meyer-Esquerré (en alternance), Martin Legros, Nicolas Tritschler (batterie live)
Scénographie Antoine Giard • Lumières Audrey Quesnel • Son Pierre Blin • Création sonore & régie Nicolas Tritschler • Costumes Loreleï Vauclin
Crédit photo Virginie Meigné
Théâtre du Rond-point
25 septembre – 5 octobre 2025 • Mardi au vendredi 19h30 • Samedi 18h30 • Dimanche 28 septembre 17h, dimanche 5 octobre 15h30 • Relâche lundi 29 septembre

⸻
En tournée
2025
• 14 octobre – Centre culturel Juliobona, Lillebonne (76)
• 8 novembre – L’Astrolabe, Figeac (46)
• 12 & 13 novembre – Théâtre Sorano, Toulouse (31)
• 20 novembre – Maison du Théâtre, Brest (29)
• 22 novembre – Salle SolenVal, Dinan Agglomération / Plancoët (22)
• 25 novembre – Carré Sévigné – Pont des Arts, Cesson-Sévigné (35)
• 27 novembre – Centre culturel Jacques Duhamel, Vitré (35)
2026
• 27 janvier – Ville de Morteau (25)
• 29 & 30 janvier – Théâtre La Renaissance, Oullins (Lyon – 69)
• 3 février – Théâtre des Collines, Annecy (74)
• 5 février – Théâtre du Bordeau, Saint-Genis-Pouilly (01)
• 17 mars – Quai des Arts, Pornichet (44)
• 19 mars – Théâtre Ligéria, Sainte-Luce-sur-Loire (44)
• 21 mars – La Balise, Saint-Hilaire-de-Riez (85)
• 24 mars – Amphithéâtre Thomas Narcejac, Pornic (44)
• 26 mars – Le Canal, Théâtre du Pays de Redon (35)
• 28 mars – Théâtre Quartier Libre, Ancenis-Saint-Géréon (44)
• 10 avril – Maison de la Culture, Arlon (Belgique)
Une mise en scène qui semble déroutante mais brillante, j’aime l’idée d’utiliser l’inconfort et la tension pour plonger le spectateur Retro Bowl dans une expérience aussi troublante qu’inoubliable.