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Iphigénie. Odéon

Dernière mise à jour : 24 avr. 2021

Un classique en résonance

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Iphigénie, c’est un monde à l’arrêt. Alors que la flotte grecque s’apprêtait à mettre les voiles vers Troie, le vent est tombé brutalement, mettant en panne la machine de conquête. Consulté en secret, le devin Calchas révèle le seul remède à la crise : sacrifier aux dieux la jeune Iphigénie, fille d’Agamemnon. La Grèce doit-elle payer ce prix exorbitant, pour continuer sur sa lancée initiale, et respecter les promesses glorieuses qu’elle s’est faites à elle-même ? C’est ce que prône Ulysse pour qui il n’y a pas d’alternative. Ou faut-il voir dans ce coup d’arrêt, dans cette proposition inacceptable, le signe divin que l’expédition à Troie sera un désastre ? Les chefs de guerre s’interrogent avec inquiétude sur leur avenir et celui de leur civilisation. Heureusement, dans cette drôle de tragédie, tout “finit bien” : c’est une autre victime, l’étrangère de la pièce, qui tombera finalement sous le couteau de Calchas. Les Grecs pourront repartir au combat sans perdre l’une des leurs. Le vent souffle à Aulis, l’épopée reprend souffle, l’Histoire poursuit sa marche conquérante. Pour le meilleur et surtout, sous-entend Racine, pour le pire. Cette pièce étrange et baroque, faite de grand siècle et de rituel sanglant, d’intimités torturées et de calculs politiques, a inspiré à Stéphane Braunschweig un projet en résonance avec notre époque.

En pensant mettre en scène, en plein confinement, Iphigénie, Stéphane Braunschweig a trouvé la porte d’entrée de l’œuvre de racine et s´inspire de l’atmosphère actuelle à la suite de la crise sanitaire et de ses conséquences qui ont mis le monde entier, à l’arrêt.

Une lecture si juste et respectueuse du texte de Racine par Stéphane Braunschweig

ainsi qu’un plateau d’une sobriété implacable et une distanciation sociale respectée, même entre les comédiens donne une sensation troublante de modernité. Et, lorsqu’un rapprochement inéluctable entre deux personnages se fait, le moment apparaît encore plus intense que d’ordinaire et presque gênant.


Sur le côté, une paroi qui pourrait être celle d’une salle de réunion, vibrant de couleur et de fumée, représente certainement, le peuple et la société. Au centre, la scène nue, encadrée par deux écrans géants qui projettent un paysage de mer paisible et les spectateurs, face à face, se confondant avec les vagues, donne une sensation surprenante, étrange et hypnotique.

Les comédiens, sur un fil, composent avec force et chuchotement une prouesse tout en sobriété. Le père titubant presque et croulant sous le doute, la mère, tout en rage et rébellion et la jeune femme étouffant d'amour et de douleur.

Iphigénie, un drame dans la pure tradition de Racine, qui réserve une fin surprenante et étonnante, est un spectacle magnifique aux Ateliers Berthier


Folie des dieux ou folie des hommes. Le monde est-il fou, quoi qu'il arrive et inéluctablement ?


 

Iphigénie

De Jean Racine mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig création — durée 2h10

Avec en alternance Sharif Andoura, Jean-Baptiste Anoumon, Suzanne Aubert, Astrid Bayiha, Anne Cantineau, Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Claude Duparfait, Ada Harb, Glenn Marausse, Thierry Paret, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal, Clémentine Vignais, Thibault Vinçon

Crédit photo Simon Gosselin

Odéon - Berthier

1, rue André-Suares, Paris 17e

23 septembre – 14 novembre

Relâche le dimanche 27 septembre, les 11, 25 et 31 octobre et le 1er novembre


Nouveaux Horaires: 17h30 en semaine et dimanche 15h


 

Pour en savoir plus...


Je n’avais pas prévu de mettre en scène Iphigénie. Ou plutôt si, il y a vingt-cinq ans, j’en avais eu le projet, parce que j’aimais tout particulièrement cette si étrange tragédie que l’Iphigénie à Aulis d’Euripide avait inspirée à Racine.

Mais à l’époque, je n’avais pas trouvé ma porte d’entrée dans la pièce, qui m’aurait permis de la faire résonner dans notre présent.

Alors quand le monde s’est brutalement mis à l’arrêt, une fois passé l’effet de sidération, j’ai repensé à l’armée grecque clouée sur place dans le port d’Aulis parce que les vents sont brutalement tombés. Et quand je sortais dans les rues de Paris désertes, figées dans un silence irréel, c’est une mer d’huile méditerranéenne qui m’apparaissait. Cette vision des grandes puissances de la planète arrêtées dans leur marche toute tracée vers le profit infini et la conquête économique ne cessait de me ramener à la Grèce d’Agamemnon, Ulysse et Ménélas. Les plus puissants chefs du monde antique réduits à l’impuissance ! Eux aussi ont dû être sidérés, alors qu’ils étaient bien partis pour écraser Troie ! Eux non plus n’auraient sans doute pas écouté les oracles pourtant très scientifiques de notre époque, qui prévoient toutes les catastrophes à venir si notre humanité persiste dans son modèle de croissance.

Pour que les vents reviennent et que les navires de guerre fassent voile vers Troie, le Roi des Rois grecs, Agamemnon, devra sacrifier sa propre fille, Iphigénie. L’équation posée par le devin Calchas est simple et implacable : pas de conquête, pas de profit, pas de toute-puissance sans sacrifice, et même sans sacrifice humain.

À travers les affres et tergiversations d’Agamemnon, Racine semble nous renvoyer cette question : que sommes nous prêts à sacrifier de plus cher pour assouvir nos désirs ? Nous entrons là dans la véritable contradiction tragique, celle d’Agamemnon, et celle de notre société, quand elle doit trancher entre les impératifs économiques et l’impératif éthique de sauver des vies, du moins quand une crise sanitaire lui met crûment le sujet sous le nez, et l’oblige à ouvrir les yeux sur ce qui d’ordinaire reste loin et caché…

En réécrivant la pièce d’Euripide, Racine a inventé pour le dénouement un incroyable tour de passe-passe : il semble nous dire que si on arrive à déplacer le sacrifice de ce qui nous est le plus cher vers ce qui nous est le moins cher, l’étrangère de la pièce par exemple, alors tout peut repartir « comme si de rien n’était ». Mais personne n’est dupe. La tragédie et le théâtre, avec d’autres aujourd’hui, auront montré les ressorts de ce « comme si de rien n’était », en nous plaçant devant l’urgence de repartir autrement.

Nous avons imaginé ce spectacle en avril, au plus fort de la crise, dans un dispositif qui puisse s’adapter aux restrictions sanitaires, avec une double distribution, et avec le désir décuplé de retrouver le public pour partager avec lui nos rêveries sur ce monde à l’arrêt. Stéphane Braunschweig

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