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The normal heart

Dernière mise à jour : 17 janv. 2022

INTERVIEW DE VIRGINIE DE CLAUSADE

C’est en écrivant, en 2016 « De bruit et de fureur », la biographie sur les dernières semaines de la vie de Thierry le Luron, mort du SIDA que Virginie de Clausade a découvert la pièce mythique de Larry Kramer « The Normal Heart ».


Cette pièce écrite par le fondateur d´Act Up, en 1984, aborde une période qui s’étend de 1981 à 1984.


Trois années atroces

Ce spectacle a pour but de mettre en lumière l’histoire méconnue du tout début d’une pandémie qui ne portait pas encore de nom et qui s’abattît de façon totalement aléatoire sur toute une communauté.


Dans cette pièce, Larry Kramer parle du SIDA au présent et témoigne des bouleversements, des tabous et des questions que cette pandémie a engendré.


Alors que cette pièce a déjà était jouée à New York, plusieurs centaines de fois, elle n’avait encore jamais été présentée en France. Virginie de Clausade l’a traduite, adaptée et mise en scène et présentée, cette année, en début de saison, au théâtre du Rond-Point.

The Normal Heart, cette pièce bouleversante, ce succès immense, est, maintenant, reprise au théâtre la Bruyère, dès le 20 janvier 2022.

À cette occasion, j’ai eu le plaisir de rencontrer Virginie de Clausade qui m’a accordé un très beau et enrichissant moment d’interview.




 

INTERVIEW DE VIRGINIE DE CLAUSADE

Ils sont 40 millions à avoir disparu sans que personne, ou si peu, ne leur rende hommage. C’est aussi cette injustice qu’il s’agit d’exposer. Il était urgent que ce témoignage artistique hors du commun soit porté sur une scène française. VIRGINIE DE CLAUSADE

FRÉDÉRIC BONFILS

The Normal Heart, un spectacle particulièrement percutant et émouvant, est un choc qui laisse sans voix. Comment avez-vous obtenu les droits de cette pièce?

VIRGINIE DE CLAUSADE

Alors ça, c'est un truc de dingue. Quand j'écrivais mon bouquin sur Thierry Le Luron. Je découvre le texte The Normal Heart: Je me suis dis, tout de suite : « Ce texte est fou ! » et plus de trois mois plus tard, un pote, Sabri Meddouri, m’appelle et me dit : « Tu sais, la pièce que tu aimes bien, The Normal Heart, c'est un copain à moi qui a acheté les droits et il cherche quelqu'un pour l'adapter et travailler dessus. »


J'ai tout de suite rencontré Eric Maillard et on s'est dit, sans trop réfléchir : « banco, on y va ! ». Très Rapidement, avec Dimitri ( Dimitri Storoge) on a réussi à faire ce petit miracle.




FB - Virginie, c'est votre première mise en scène et vous avez quand même frappé fort, traduction, adaptation et mise en scène. C’est une mission impossible !


VC - (Rire) Oui, c'est vrai : « si j’avais su dans quoi, je n’y serai, peut-être, pas aller. » Mais c'est ça qui est chouette.


« La vie est bien faite et s'écrit bien. »

J'étais partie pour traduire ce texte, mais il a fallu l’adapter car il était trop long pour réussir à le monter sur une scène française.

Et puis, ne trouvant pas de metteur en scène, je me suis lancée, et voilà !



FB - Peut-être que je me trompe, mais quand je vois des pièces américaines traduites en français, je trouve que ça parle beaucoup, beaucoup. Avez-vous travaillé en ce sens ?

VC - Oui c’est vrai. Ce n’est pas facile de traduire un texte américain en français. L'Anglais est un faux ami du français car la structure de pensée est complètement différente de la nôtre, le « je » passe avant le collectif. J’ai tenu à rester fidèle au panache du verbe de Larry Kramer, et a retranscrire précisément son propos, mais c'est vrai que ce personnage pourrait facilement paraître trop mégalomane et verbeux en français. Quand on lit le texte en anglais, il l’est un peu et c'est aussi sa force et ce n’est pas aussi gênant. Donc, on a, effectivement, un peu élagué, mais pas édulcoré, au contraire. On a eu besoin parfois de prendre un chemin un peu détourné, pour comprendre ce texte anglais en français.



FB - En même temps, avec ce caractère fort, on comprend aussi très bien que ce personnage reste dans l’histoire, dans les annales. Pourquoi cette pièce qui a été créée en 1984 et qui a été jouée de nombreuses à New York ne l’a jamais été en France ?

VC - Je ne sais pas. On nous a dit plusieurs fois : « Le texte est magnifique, mais, avec ce projet, vous allez vider les salles de théâtre.




FB - En tout cas, vous avez rempli le théâtre du Rond-Point. The Normal Heart a été quand même un des plus gros succès de cette rentrée théâtrale et, certain spectateurs sont même venus plusieurs fois, je crois.


VC - Oui, il y a une personne qui est venue 8 fois. C'est incroyable !


« Mais, on n’y a toujours cru. On a tous envie d'être diverti, bien sûr ! mais on peut, aussi, avoir envie d’être nourri. »

On espére tant que le public sera toujours présent, à La Bruyère.




FB - On a tellement entendu parler de ce sujet, au cinéma, à la télé. En quoi The Normal Heart parle différemment du SIDA ?


VC - À l’exception du film français « Encore » de Paul Vecchiali de 1988, c'est le seul texte qui parle du Sida au présent. Quand on regarde aujourdhui cette histoire, on sait qu'il y a eu 100 millions de morts. On sait toute la souffrance qu’il va y avoir, mais les protagonistes, eux, ne le savent pas encore.




FB - En fait, j'ai été complètement scotché, mais c’est difficile à l’analyser. Peut-être parce que c’est bien ancrée dans l’inconscience générationnelle. Vous qui êtes, tout de même, bien plus jeune que moi. Comment avez-vous fait pour retranscrire cette période de façon aussi juste ?


VC - En faisant mes recherches, un peu naïvement, je pensais que le SIDA avait changé le monde, mais pas tant que ça. La pandémie a eu lieu, il y a eu des morts, on a tous été très mal à l'aise, puis on a tous repris le cours de nos vies, sans ne se poser de questions.


Enfin, quand même, on est là, en plein COVID, les médecins débarquent sur les plateaux télé en 2020, et nous disent que ça fait un siècle qu’il n’y a pas eu de pandémie, Et les 100 millions de morts du SIDA, ça ne compte pas ? Comme en 1981, pour moi, c’est une forme de déni du SIDA.

Pendant longtemps, j'ai pensé que le sida avait été maltraité car, ça avait commencé par la communauté homosexuelle.

« En fait, quand une maladie tombe, pour se rassurer, il faut qu’on trouve quelqu'un à blâmer. Dans le cas du covid, ça a été les chinois, les Italiens puis les vieux. »

C’est aussi abject que de dire, vous êtes homosexuel ? Tant pis pour vous.


Ce n’était pas politiquement correct car, annoncer qu’on était malade du SIDA, c’était dire qu’on était toxicomane ou homosexuel.


« À cette époque le sida a fait exploser l'intimité »

Il y avait tout un pan d'intimité qui était livré en public de façon dégueulasse, avec les pires fantasmes.


Pour moi, les personnages de cette histoire, ce sont des héros, des Rock Stars et cette magnifique pièce est renversante. Il n'est même pas question de maladie où de virus. On n'a même pas encore dit le nom.




FB - Le mot sida arrive à la toute fin de la pièce.


VC - Jamais. Jamais il n'est dit. c’est fou, non ? on parle du cancer gay, mais le mot SIDA n'est pas jamais prononcé.




FB - Quelle équipe de comédiens ?


VC - Ah oui ! Pour moi, tout repose sur eux. C’est un texte magnifique porté par une troupe d'acteurs extraordinaires.




FB - Avec cette pièce, on est à la fois dans quelque chose d'assez documentaire, très réaliste et, en même temps, très poétique, très romanesque. Il y a un vrai travail créatif au niveau des décors, des costumes. C’est à la fois très marqué par l’époque, en restant universel.


VC - On a fait un gros travail sur la scénographie, en se disant « Qu'est ce que ça nous évoque ? »


« Je n'aime pas trop les projections vidéo. Pour moi, au théâtre, il n'y a pas besoin d’effets incroyables ou de musiques. Juste quelque chose qui soutient l'imaginaire de chacun. »

Tout n’est qu’une question de vocabulaire, de mots utilisés.

Je pense que, souvent, on coupe l’imaginaire en voulant trop le nourrir. Dans la salle, il y a environ 300 places. 300 personnes qui viennent avec leurs propres histoires. Ça, c'est imbattable ! Je me dis :  « Je ne peux pas faire mieux » C'est d'ailleurs pour ça qu'on est, souvent, déçu par les adaptations littéraires au cinéma. C’est parce qu’on n’était pas en accord avec ce que l’on avait dans la tête.

C’est pour ça que j´ai eu envie de cet univers stylisé, sans projection ni musique.


« Je ne voulais pas imposer mon univers. »

Et la musique, surtout celle des années 80, c'est tellement attendue.

Il y en a juste à la fin. Brice Michelini a fait, avec Ronan Martin, son comparse, une musique sur laquelle on lance les Applauses.

« Il fallait une musique qui ramène à la vie, donne l’envie de se lever et de se sentir vivant. »




FB - C'est quand même très drôle aussi et sensuel ?


VC - « Comment peut-on comprendre le carnage qu'a été cette maladie si on enlève le désir. »

On est sur une jeunesse qui a 20 ans, qui est belle et qui se désire. Il faut, à un moment donné, qu’il y ait des gens désirables sur scène qui parlent de désir.


« Le désir de plaire, de séduire, de s’envoyer en l’air, d’exister, de s’amuser, de s’affirmer... de vivre. »

VIRGINIE DE CLAUSADE


La vraie fierté, on la tirera d’une culture qui ne sera pas seulement sexuelle. C’est là, partout autour de nous dans l’Histoire. Se définir par nos bites est littéralement en train de nous tuer. En est-on est réduit à devenir nos propres assassins ? Extrait


 

THE NORMAL HEART

UNE PIÈCE DE LARRY KRAMER

ADAPTATION ET MISE EN SCÈNE VIRGINIE DE CLAUSADE

AVEC DIMITRI STOROGE, MICHAËL ABITEBOUL, JOSS BERLIOUX ANDY GILLET, DÉBORAH GRALL, BRICE MICHELINI JULES PELISSIER, DIMITRI STOROGE

TEXTE PUBLIÉ AUX ÉDITIONS L’AVANT-SCÈNE THÉÂTRE DURÉE ESTIMÉE 1H45


THÉÂTRE LA BRUYÈRE

5 rue de la Bruyère Paris 9e


À partir du 20 janvier 2022

Du mardi au samedi à 21h

Samedi à 17h


The Normal Heart (1985), a remporté trois Tony Awards et deux nominations à Broadway. Elle a été joué plus de 600 fois dans le monde. Son adaptation pour HBO a remporté un Emmy en 2014.







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