
Histoire d’un Cid : Quand Corneille rencontre l’âme de l’enfance grâce à Bellorini
- Bonfils Frédéric
- il y a 5 jours
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 13 heures
Et si Le Cid n’était plus un monument figé, mais un terrain de jeu poétique et fantasque ? C’est le pari de Jean Bellorini avec Histoire d’un Cid, variation libre, ludique et lumineuse autour de la tragi-comédie de Corneille. Créée lors des Fêtes nocturnes du Château de Grignan, cette adaptation pleine d’émotion, de tendresse, de décalage et d’humour, aujourd’hui reprise à Nanterre-Amandiers, fait souffler un vent de fraîcheur sur l’alexandrin.
Un poème réenchanté
Ils sont quatre acteurs et deux musiciens à convoquer Le Cid comme on convoque un souvenir d’enfance. Pas de carrosse doré ni de fresques andalouses : ici, tout commence par une toile blanche qui se gonfle comme une bulle d’imaginaire. Un château de pacotille surgit, un voilier brinquebalant baptisé Vague à l’âme tangue au centre du plateau… Bienvenue dans le théâtre selon Bellorini, où la machinerie est artisanale, l’illusion assumée, et le jeu, moteur de tout.
On joue à se raconter Le Cid comme on jouerait aux chevaliers. On saute dans les vers de Corneille comme dans des flaques. Et pourtant, rien n’est moqué. Histoire d’un Cid prend le texte à bras-le-cœur : il le triture, le chante, le détourne et l’étudie différemment pour mieux en faire jaillir son essence et révéler sa beauté.
Une troupe au diapason, des alexandrins vivants
Sur scène, François Deblock campe un Rodrigue juvénile, plein d’élan et de panache, tandis que Cindy Almeida de Brito insuffle à Chimène une intensité brûlante. Karyll Elgrichi, bouleversante Infante, offre à son personnage une gravité d’autant plus émouvante qu’elle reste toujours sur le fil. Federico Vanni, tour à tour Don Diègue et Léonor, module subtilement son jeu entre tendresse et grotesque, jusqu’à une dolce vita enfiévrée.
Ces comédiens virtuoses jonglent avec les registres : ils cassent l’alexandrin pour mieux en faire résonner la musique, glissent d’un rôle à l’autre, reviennent à eux-mêmes, puis replongent dans le récit comme de véritables acrobates. Un jeu de va-et-vient qui exprime toute la richesse du théâtre : entre illusion et vérité, passé et présent, enfance et tragédie.
Une scénographie-poème et un rêve sonore
La scénographie de Véronique Chazal déploie une poésie brute, peuplée d’objets décalés : poste radio vintage, cheval à bascule, structure gonflable qui devient château. La musique live, signée Clément Griffault et Benoît Prisset, accompagne cette rêverie en tissant un fil entre Corneille et Balavoine, entre comédie musicale et confidences radiophoniques.
Et soudain, le tragique du texte — la tyrannie de l’honneur, la douleur des pères, les amours sacrifiées — surgit avec d’autant plus de force qu’il est encadré par la joie du jeu. Quand Chimène dit « Je me dois par ta mort rendre digne de toi », le château se dégonfle. Tout est dit.
Bellorini, Corneille et les enfants du siècle
En adaptant Le Cid sans le figer, Jean Bellorini ravive ce qui, chez Corneille, bat encore aujourd’hui : le vertige du choix, l’injustice des hiérarchies, la fragilité de la jeunesse face à la violence du monde adulte. Dans ce théâtre mouvant, entre rêve et naufrage, les héros ont l’éclat baroque des personnages de Büchner ou de Musset.
La pièce n’est ni modernisée de force, ni relue à travers un prisme d’actualité forcée. Elle est simplement rendue vivante. Et cela suffit à la faire vibrer. Avis de Foudart 🅵🅵🅵🅵
INFOS PRATIQUES
Histoire d’un Cid
Mise en scène : Jean Bellorini
Avec : François Deblock (Rodrigue), Cindy Almeida de Brito (Chimène), Karyll Elgrichi (L’Infante), Federico Vanni (Don Diègue, Léonor)
Musique live : Clément Griffault (claviers), Benoît Prisset (percussions)
Scénographie : Véronique Chazal
Costumes : Macha Makeïeff
Crédit photo : ©Christophe Raynaud de Lage
Théâtre Nanterre-Amandiers
Du 15 mai au 15 juin 2025 • Mer, jeu, ven à 20h · Sam à 18h · Dim à 15h • Durée : 1h40

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