
LES PETITES FILLES MODERNES
- Bonfils Frédéric

- il y a 6 jours
- 3 min de lecture
🅵🅵🅵 FOUD’ART — Un conte adolescent aux images sidérantes, entre émerveillement et manque de chair
Deux jeunes filles scellent un pacte d’amitié si absolu qu’il défie les lois du réel et l’autorité des adultes. Avec Les Petites Filles modernes, Joël Pommerat convoque pleinement le fantastique pour interroger l’amour, l’amitié et notre besoin vital de lien. Un spectacle d’une puissance visuelle indéniable, qui fascine autant qu’il interroge ses propres limites dramaturgiques.
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Un basculement assumé vers le merveilleux
Longtemps, Pommerat a pris plaisir à fissurer le conte, à en révéler les zones d’ombre et les peurs enfouies (Cendrillon, Contes et légendes). Ici, le geste est différent. Le merveilleux n’est plus déconstruit : il est embrassé, revendiqué, utilisé comme un rempart.
Face à un monde adulte normatif, séparateur et même absent, Jade et Marjorie opposent les forces mystérieuses de l’enfance. Leur amitié devient une puissance agissante, presque magique, capable de dépasser les frontières du corps, du temps et de l’espace.
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Un théâtre-roman en clair-obscur
Pommerat imagine un « théâtre-roman » où les événements se racontent en même temps qu’ils se vivent. Le plateau, volontairement dépouillé, se peuple de noirs, de silences, d’apparitions furtives. Les vidéos de Renaud Rubiano, la scénographie et les lumières d’Éric Soyer, et la création sonore de Philippe Perrin et Antoine Bourgain composent un univers hypnotique, presque mental.
Des voix surgissent sans corps, des images apparaissent puis disparaissent comme des éclats de rêve. Le spectateur est invité à une traversée sensorielle dense, où réel et imaginaire se contaminent. L’ensemble est d’une maîtrise technique impressionnante, fidèle à l’esthétique clair-obscur qui fait la signature du metteur en scène.
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Adolescence, lien et interdits
Au cœur du spectacle, il y a l’adolescence : ses élans, ses peurs, ses fantasmes, son besoin vital d’absolu. L’amitié entre Jade et Marjorie est posée comme un lien sacré, presque politique, qui vient bousculer l’ordre établi.
Pommerat met en miroir plusieurs mondes : celui des adolescents et celui des adultes, celui du réel et celui du fantastique, mais aussi un univers lointain et allégorique où deux êtres sont punis pour avoir commis un crime impardonnable… s’aimer. Une métaphore limpide de l’interdit et de la violence normative.
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Une fascination visuelle… au détriment de la profondeur émotionnelle
C’est ici que le spectacle laisse une impression plus ambivalente. Visuellement, Les Petites Filles modernes est une réussite éclatante. Les projections vidéo sont bluffantes, inventives, d’une grande poésie plastique. Chaque tableau semble pensé comme une image mentale, un fragment de cauchemar ou de rêve éveillé.
Mais à force de privilégier l’atmosphère et la sensation, la pièce peine parfois à creuser la chair des relations humaines. L’amitié entre les deux héroïnes, pourtant au centre du propos, reste souvent à l’état de principe plus que d’expérience vécue. Le récit, fragmenté, non linéaire, entretient une forme d’opacité qui peut tenir à distance l’émotion, là où l’on attendrait davantage de trouble, de contradictions, de complexité affective.
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Un geste fort, mais inégal
Chaque nouvelle création de Joël Pommerat est un événement, et Les Petites Filles modernes ne fait pas exception. Le spectacle impressionne par son ambition esthétique, sa cohérence formelle, et sa capacité à créer un monde.
Mais derrière la beauté des images et la puissance du dispositif, subsiste une légère frustration : celle d’un conte adolescent qui effleure ses enjeux plus qu’il ne les traverse pleinement.
Un spectacle à voir pour sa force visuelle et son atmosphère envoûtante, mais qui laisse en suspens une question essentielle : jusqu’où le merveilleux peut-il remplacer la profondeur du lien humain ?
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Infos pratiques
LES PETITES FILLES MODERNES
Création théâtrale Joël Pommerat
Avec Éric Feldman, Coraline Kerléo, Marie Malaquias Et les voix de David Charier, Delfine Huot, Roxane Isnard, Pierre Sorais, Faustine Zanardo
Scénographie et lumière Éric Soyer • Création vidéo Renaud Rubiano • Création sonore Philippe Perrin, Antoine Bourgain • Musique originale Antonin Leymarie • Costumes Isabelle Deffin • Perruques Julie Poulain
Théâtre Nanterre-Amandiers
18 décembre 2025 - 24 janvier 2026 • Du lundi au vendredi 19h30 (18h30 pendant les vacances scolaires) • samedi 18h30 • dimanche 15h30 • Durée 1h20











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