Wonnangatta : l’invisible au cœur du bush
- Bonfils Frédéric
- il y a 6 heures
- 3 min de lecture
Jacques Vincey sculpte le silence et la rudesse du monde dans une enquête aux allures d’odyssée intérieure
Un fait divers. Deux hommes. Une terre hostile. Et au milieu, des mots pour ne pas sombrer.
Avec Wonnangatta, Jacques Vincey transforme la langue rêche et musicale d’Angus Cerini en théâtre de chair et d’ombre. Un polar métaphysique et poétique, où chaque silence pèse plus lourd que les coups de feu.
Disparition dans les hauteurs
Tout commence par une absence. Celle de Jim, un ami que Harry visite chaque mois, et qui, cette fois, ne répond pas. Une inscription à la craie sur la porte : « Serai là ce soir ». Mais la nuit passe, puis les jours. Rien. Alors Harry revient, avec Riggall. Et ce qu’ils découvrent dépasse l’horreur : un corps enterré jusqu’au cou, la tête rongée par les bêtes sauvages. Jim est mort, et la nature a dévoré ce qu’il restait de lui.
Traque à ciel ouvert
De là, s’engage une chevauchée. Non pas spectaculaire, mais intérieure. Dans ce bush australien où les hommes sont des intrus, Harry et Riggall cherchent un coupable autant qu’un sens. Une traque, une fuite, un combat contre ce qui ne se dit pas.
La langue d’Angus Cerini, magnifiquement traduite par Dominique Hollier, est de celles qui résistent. Elle frotte, elle accroche. Elle parle peu, mais chaque mot sonne. Un parler taiseux, fait de souffle et de silence, où la rudesse se teinte de lyrisme, l’humour de désespoir. Un chant de poussière et de feu.
Un duo sous tension
Sur scène, deux hommes seuls. Serge Hazanavicius, l’ardent, le colérique, et Vincent Winterhalter, plus doux, plus inquiet, forment un duo à la Beckett. Ils se soutiennent, se perdent, s’opposent et s’effacent dans la même nécessité : raconter. Car dans Wonnangatta, tout est narration, mais une narration vivante, tendue, performative. Ce n’est pas l’histoire qu’ils disent, c’est l’histoire qu’ils vivent — et qu’ils font advenir à mesure qu’ils parlent.
Une mise en scène brute et ciselée
Jacques Vincey l’a bien compris : inutile d’illustrer, il faut évoquer. Pas de réalisme. Juste des cubes, déplacés, empilés, révélés. Une matière brute pour un monde brut. La scénographie de Caty Olive, en collaboration avec Vincey, suggère davantage qu’elle ne montre. Lumières blafardes, néons suspendus, nappes sonores d’Alexandre Meyer… tout tremble autour des corps. Même la fumée devient personnage.
La nature absente ?
Et pourtant, malgré cette esthétique ciselée, la nature -omniprésente dans le texte - peine à apparaître pleinement. Là où les mots peignent des forêts, de la neige, des rivières, la scène, elle, reste abstraite. Peut-être est-ce un choix. Peut-être est-ce une limite. Car dans cette pièce, la nature n’est pas un décor : elle est l’adversaire, la menace, l’épreuve. Une troisième force qui broie les hommes autant que leurs certitudes.
Un grand théâtre de l’indicible
Mais Wonnangatta reste une réussite précieuse. Parce qu’il faut du courage pour mettre en scène ce texte difficile. Parce que les deux comédiens y sont admirables. Parce que la tension est là, constante, insidieuse. Et parce que cette pièce nous rappelle que le théâtre peut encore — et surtout — être un lieu de lenteur, d’écoute, d’immersion. Où le mystère importe plus que la réponse.
Alors non, Wonnangatta ne nous dit pas qui a tué Jim.
Mais il nous dit ce que ça coûte de chercher.
Il nous dit ce que ça fait, de parler dans le vide, d’avancer dans le brouillard, de tenir l’autre pour ne pas s’effondrer.
Et ça, c’est du grand théâtre. Avis de Foudart 🅵🅵🅵
Infos pratiques
Wonnangatta – d’Angus Cerini
Mise en scène Jacques Vincey
Avec Serge Hazanavicius et Vincent Winterhalter
Traduction Dominique Hollier
Scénographie Caty Olive et Jacques Vincey
Musique Alexandre Meyer
Crédit photo Christophe Raynaud de Lage
Les Plateaux Sauvages • Du 12 au 24 mai 2025 • Durée 1h30 – À partir de 15 ans

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