« Le monde porte en lui le rêve d’une chose, le rêve d’une chose dont il lui suffirait de prendre conscience pour la posséder réellement ». Jean-Christophe Bailly (citant Karl Marx)
Les pouvoirs de l’être humain nous amèneront-ils à notre perte ?
Depuis plusieurs années, la compagnie de nuit comme de jour se pose, notamment, cette question dans ses spectacles, ses formes hybrides, ses rêveries théâtrales. Les nuits enceintes, avec son côté « plus classique » ne déroge pas à la règle.
Pourquoi les nuits enceintes ?
Comme le fait sous-entendre ce proverbe turc « La nuit est enceinte, mais nul ne connaît le jour qui naîtra », ce n’est qu’à l’aube que l’on pourra prendre soudain conscience de ce qui se tramait.
« Aujourd’hui, nous sommes dans le ventre de la nuit : nous savons que différents effondrements (Crise migratoire, catastrophe écologique, inflation, montée des extrêmes, pandémies...) nous menacent, mais pour l’instant, l’aube dévastée ne s’est pas encore levée... »
La nuit s’agite. La nuit tombe enceinte. Nul ne sait de quoi sera fait le jour qui naîtra…
Ce spectacle en trois actes, en trois nuits…enceintes qui se succèdent commence avec le retour de Sam, une femmes metteuse en scène aux milles vies, dans la grande maison familiale délabrée. Elle est flanquée de David qu’elle a épousé plusieurs années plus tôt, sans que ces deux-là ne forment jamais un vrai couple et Lou, une jeune fille qui rêve de devenir actrice.
Elle y retrouve Mélisande, sa sœur qui n’a jamais bougé de là et Pierre, son ancien compagnon devenu son domestique. Impossible de dire laquelle est la cadette : chacune étant la minuscule de l’autre et incarnant, à tours de rôle, la figure de la protectrice, de celle qui ouvre le chemin.
L’immense domaine autour de la maison s’est transformé. Un canal a été aménagé. Les marais se sont asséchés. Les terres ont été vendues et une autoroute suspendue à commencer se construire avec l’objectif de créer une immense cité pavillonnaire, le Mesnil.
Mais la bulle financière a éclaté, les travaux se sont arrêtés et l’autoroute a été interrompu à mi-parcours. pendant ce temps, un groupuscule altermondialiste a envahi l’espace. Ils y ont construit des cabanes, planté des légumes, et tenter d’y inventer un nouveau monde.
Indifférentes à tout ce qui s’affrontent autour d’elle, les deux sœurs vivent la nuit, dorment le jour et refusent d’appartenir à l’Histoire...
Le meilleur des mondes… ou pas.
L’auteur et metteur en scène suisse Guillaume Béguin a peur, Il est en colère. Il partage avec nous son pessimisme, ses inquiétudes avec cet opéra dystopique, ce poème futuriste et dramatique.
En s’inspirant de La Cerisaie de Tchékhov, mais aussi de Maurice Maeterlinck et de son œuvre réaliste, symbolique et mystique, à travers les personnages de Sam et Mélisande, il questionne notre relation à l’héritage, notre faculté à la résilience et la possibilité de transformer notre relation à la Terre. C’est aussi une pièce pour réapprendre à s’inscrire dans le monde, pour contribuer à retisser le lien, pour redevenir terrien.
Pour parvenir à atteindre son but, en partant d’une situation réaliste, Guillaume Béguin nous entraîne dans un monde onirique « Comme souvent dans mes spectacles, j’ai essayé de construire un univers soigné, tant sur le plan musical que scénographique, de créer une atmosphère par laquelle se laisser emporter et des paradoxes qui n’ont pas vocation à être résolus, comme dans des rêves ».
Et sa passe ou ça casse !…
Avec ce spectacle magnifiquement écrit mais qui semble débordé de références, de raccourcis et même de manichéisme... si la scénographie de Sylvie Kleiber est magnifique ainsi que les lumières en demi-teintes de Luc Gendroz, si les comédiens nous enchantent, si l'on peut comprendre la morosité et le désespoir dans lesquels nous étions au moment de l'écriture de ce spectacle... on finit par se perdre, s’enliser dans cette noirceur profonde et verbeuse. Avis de Foudart 🅵
Les Nuits enceintes
texte et mise en scène Guillaume Béguin
avec Lou Chrétien-Février, Julie Cloux, Romain Daroles, Claire Deutsch,Maxime Gorbatschevsky, Pierre Maillet
scénographie Sylvie Kleiber
lumières Luc Gendroz
Crédit photos © Julie Masson
THÉÂTRE OUVERT
DU 6 AU 16 DÉCEMBRE 2022
Lun, mar, mer 19h30 | Jeu, ven 20h30 | Sam 10 décembre 18h | Durée 2h
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